(ana-maria) premier chapitre

Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Elle ne le savait pas. « Une soirée rock'n'roll » qu'ils disaient. Enfin du rock, se dit-elle sûrement, un environnement qu'elle connaissait mieux. Elle s'imaginait un public comme elle, les yeux maquillés de noir et portant des vêtements ténèbres, mais elle avait oublié de lire sur l'affiche que c'était une soirée rockabilly et le public, le public fut plutôt composé de jeunes voulant danser n'importe comment sur la musique d'un autre temps. 
Ils étaient partout, traînant leurs carcasses au bar ou sur la piste de danse. Le groupe jouait des classiques des fifties mixés à des airs d'aujourd'hui. Elle ne se sentait pas dans son environnement. Elle commanda un verre. Qu'un seul puis elle allait partir. L'endroit la dégoûtait déjà. Elle s'approcha de la scène pour pouvoir voir le band de plus près et s'arrêta en plein milieu des danseurs. Aucun raffinement, aucun respect, les blancs ne savent définitivement pas danser. Une personne capta son attention. Une blonde, plutôt bimbo. Elle dansait comme si elle avait le feu au cul. Tous ses gestes étaient insensés et pourtant elle était si confiante, si sûre d'elle-même. Ana-Maria n'arrivait pas à la quitter des yeux. Elle s'approcha d'elle.

- Tu fuis, dit-elle pointant son verre qui perdait la moitié de son liquide alcoolisé. Je peux le surveiller si tu veux.

Elle continuait de la regarder les yeux ronds.

La blonde était ivre. L'alcool lui donnait cette fausse confiance en soie qu'elle suait sur la piste de danse.
Elle regarda Ana-Maria comme elle regarderait une créature fantastique ; un mélange d'émerveillement et de crainte. Et pourtant elle ne faisait pas bien peur. Sa bouche fine légèrement entrouverte, ses yeux sombres reflétant la boule disco, elle ressemblait à une enfant découvrant le monde, ébahie par tant de nouveautés. Mais son corps disait le contraire, statique, les doigts crispés sur son verre, on aurait dit une bombe à retardement.

- Euh... d'accord.

Retournement de situation. Ce n'était plus elle qui rendait un service, mais l'autre. Elle s'était promis qu'un verre, elle allait en prendre deux. Peut-être plus ? Elle regarda celui qu'elle avait dans les mains et but d'un trait le liquide restant. Elle ne buvait presque jamais. Elle se demandait comment tout ça allait finir. Ana sorti quelques billets de ses poches et les tendit à la blonde.

- Tiens. Pour payer les verres.

Elles étaient tellement différentes. Une en chemise blanche et baskets et l'autre en t-shirt noir et bottes. C'était l'urbaine qui côtoyait l'industrielle et qui lui parlait comme si elle était l'une des siennes.
C'était elle qui payait. Ana-Maria remballa son argent. Elle lui prit la main et la tira jusqu'au bar. Elle détestait être tirée où que ce soit. Ça lui faisait peur. Lui rappelait de mauvais souvenirs. La blonde semblait connaître le gars derrière le comptoir. Peut-être qu'elle connaissait tout le monde. Ana ne connaissait personne. En même temps c'était ce qu'elle désirait. Connaître personne. Être une éternelle étrangère. Avec son accent elle allait toujours l'être de toute façon.
Quatre semblait excessif, mais elle ne dit rien. Elle déposa son verre vide sur le comptoir.

- Ana, dit-elle, gardant une partie de son identité secrète. Toi ?

Elle était très près de l'inconnue. Pourquoi lui parlait-elle ? Elle était tout ce qu'elle n'aimait pas.
Pourtant quelque chose la poussait à rester.

- T'as pas de l'air du genre de fille qui écoute du rockabilly.

Mo était son prénom. Deux lettres. M-o. « Enchanté Mo » voulut-elle dire, mais le barman arriva avec les verres et la blonde but son premier verre d'une traite. Elle n'était pas celle qu'on pouvait croire aux premiers abords. Nouvelle information. Ana jugeait trop rapidement.
Elle voulut faire la même chose que l'inconnue et but cul sec sa première consommation. Elle sentit sa tête tourner. Elle toussa. Elle ne comprenait pas comment on pouvait aimer ça. Mo se mise à faire une description hypothétique d'Ana. Une description trop proche de la vérité qui fit rougir celle visée.

- C'est un peu ça.

Elle n'aimait pas qu'on discute d'elle.
Elle voulait disparaître dans le plancher.

- Et toi qui es-tu vraiment ? Une fille sage dont tous les mecs abusent parce que t'es trop jolie ?

Elle réalisa qu'elle venait de la complimenter.
Elle donna un coup de pied pour tenter de craquer le sol.

Elle savait qu'elle disait n'importe quoi.
Elle n'était pas très bonne en psychologie. Surtout la féminine.
Visiblement outré par les paroles d'Ana Mo leva un peu le ton et raconta qu'elle ne se laissait jamais marcher sur les pieds. Ça, Ana en avait toujours été certaine. Mais sûrement que les hommes ne la laissaient jamais tranquille. Après tout, les mecs sont des cons.
Ana prit son deuxième verre et l'approcha de ses lèvres. D'autres arrivaient déjà. Elle ne voulait pas paraître comme une petite nouvelle, elle voulait donner l'impression qu'elle s'y connaissait. Mais Mo avait vue claire dans son jeu. Fière, Ana refusait de dire la vérité.

- Oui.

Pour le prouver, elle cala son deuxième verre et retint ses toussotements. Des larmes montèrent à ses yeux. Elle sentait déjà l'alcool monter à son cerveau.

- Si tu sais vraiment c'que tu veux, qu'est-ce que tu veux là, maintenant,
tout de suite ?

Tout ça allait mal se terminer.
Elle la défiait. Elle voulait la voir boire les trois verres restants. C'était stupide. Mais sa fierté prenait le dessus. Son plus grand vice. Elle prit un verre qui traînait sur le bar et le but d'un coup. C'était un incendie dans sa gorge. De la sueur perlait sur son front. Ana ne comprenait plus ce qui se passait. Elle était là, mais pas là. Elle avait le contrôle, mais elle n'en avait aucun.

- J'veux surtout finir ces verres.

Quand elle parlait son accent était plus présent qu'avant. Les mots sortaient entremêlés. Elle avait oublié la grammaire.
Elle prit le deuxième verre et avala tout le liquide. Elle ne goûtait plus rien. Tout semblait faux. Elle prit le troisième verre et l'approcha de ses lèvres. Une partie de l'alcool tomba à côté de sa bouche, coula sur son menton, toucha le sol. Quand elle l'eût terminé elle regarda Mo, un air de défi dans les yeux. 

- Puis maint'nant tu veux que j'fasse quoi ?

Elle se trouvait plus solide qu'elle l'aurait pensé. Elle ne savait pas comment elle faisait pour rester debout.
Ana voulait tomber.
S'effondrer.
Se coucher sur le sol et ne plus se relever.
Dormir jusqu'à un meilleur jour.
Si on lui redonnait un verre elle allait mourir. La vue de l'alcool la répugnait dès maintenant. Elle n'avait plus le contrôle et pourtant elle continuait de regarder Mo défiante, prête à faire n'importe quoi pour lui prouver qu'elle n'était pas une petite ne connaissant rien de la vie. Non. Elle connaissait tout. Avait vue des choses bien sombres. Avait dû apprendre à se débrouiller seule. Elle n'avait jamais eu le temps de se défoncer la gueule. Mais ça ne veut pas dire qu'elle est ennuyante. Mo voulait se faire embrasser.

- T'embrasser ?

Ana n'en revenait pas. Elle était aux filles ? Ou c'était qu'une envie de fille ivre ? Ana ne se demanda même pas si elle devait le faire ou non. Après tout, elle était jolie la blondasse. De jolis cheveux. De jolies lèvres roses et douces. Aucune raison de se retenir. Ana s'approcha d'elle et déposa une main derrière la tête de Mo. Fermant les yeux, elle déposa sa bouche sur celle de sa partenaire de défis. Son haleine sentait l'alcool. Prise dans le moment, elle ouvrit légèrement la bouche, sortant sa langue, cherchant celle de la blonde.
Elle ignorait si elle avait vraiment envie de l'embrasser ou si c'était l'alcool qui décidait pour elle.
Mais elle savait qu'elle aimait ça.