00:00 (jean)

jusqu'ici la musique est pas trop mal. Roméo, toutes les musiques lui mettent des images dans le tête. certaines lui rappellent un beau souvenir, d'autres sont plutôt tristes. là ça sonne très électrique mais les basses sont fortes. trop fortes. son gobelet en plastique qui contient une bière trop chère tremble sur le comptoir du bar. ce soir les néons sont bleus, un peu comme ceux qu'il avait dans son aquarium quand il était petit. ici, c'est presque un aquarium sauf que les poissons ne se bouffent (presque) pas entre eux. ce sont de simples corps qui dansent trop près les uns des autres. entre deux cigarettes, Roméo s'ennuie.

même à travers les vitres du fumoir, il peut entendre les basses vibrer. au moins d'ici il n'est pas gêné, personne pour le juger du regard en disant "il est bizarre lui, pourquoi il danse pas pourquoi il reste planté là avec son air bizarre". tout à l'heure, un gars lui a renversé sa bière dessus mais il n'a même pas réagi. c'est maintenant qu'il s'aperçoit que son t-shirt est tâché. tant pis, qu'il se dit, autant passer une soirée de merde jusqu'au bout.
la fumée de sa cigarette lui pique les yeux. c'est au moins la dixième qu'il fume en même pas deux heures. elles finiront par le tuer (si ce n'est pas sa propre vie qui le tue avant.)
le gars qui vient d'enter dans le fumoir a l'air de bien s'amuser, lui aussi.
- ouais.. qu'il dit en riant. c'est clair que c'est pas la meilleure soirée, nan ! en fait, j'me fais chier. c'est la première fois qu'il sourit depuis qu'il est arrivé dans cet endroit.

à l'intérieur, on dirait que le tempo de la musique est de plus en plus rapide. 135bpm, peut-être 137.
des filles rentrent dans le fumoir en riant et en faisant beaucoup de bruit. elles sont trois, six, ou douze, il ne sait pas mais elles gueulent comme si elles étaient quarante. Roméo fronce les sourcils. ça pouvait pas être pire, qu'il se dit. il soupire un grand coup, éteint sa cigarette et regarde son nouvel ami (auquel il a adressé à peine trois mots) - franchement ? ouais. j'te suis.
de toute façon, ça ne peut qu'être mieux. il prend son portable au fond de sa poche et envoie un texto à un de ses potes (perdu dans la foule) avec qui il est venu. "me casse. me sens pas très bien. à plus!". en sortant du fumoir il pose son verre vide et en redemande un au serveur. - pour la route !

à peine servi que le verre est avalé, réchauffant son corps tout entier. Roméo jette un coup d'oeil une dernière fois sur la piste de danse, histoire de s'assurer que ses potes sont encore là, mais il ne les voit pas tant la foule est importante. en fait, il s'en fout. cette soirée, il ne la sentait pas, et une fois de plus, il a eu raison.
les deux garçons se dirigent vers la sortie. dehors il fait encore nuit, quelle heure est-il ? pas l'heure d'une fin de soirée en tout cas. cela ne fait juste que commencer. - euh, j'sais pas. on peut aller dans un bar, ou bien chez moi si tu veux. j'habite à 10mn, c'est assez tranquille. (il a oublié de préciser que son appartement ressemble à un champ de mine avec tous les instruments de musique entreposés un peu partout et les restes de nourriture et d'alcool sur le sol).
- enchanté Jean. moi, c'est Roméo.

- ça me va. il doit me rester quelques bières. et... d'autres trucs.
les deux s'avancent dans la nuit encore noire, dans la fraîcheur d'une soirée d'été encore timide. les lampadaires qui éclairent le devant du club sont presque tous cassées, les ampoules vacillent, on se croirait dans un mauvais film d'horreur. - t'es le premier Jean que je connaisse aussi, donc allons faire la fête !
ils marchent quelques temps en silence, le seul bruit qu'ils émettent étant leur souffle après la cigarette. finalement, la soirée s'annonce pas si mal que ça, se dit Roméo. il se demande dans quel état sont ses potes actuellement, alors il hausse les épaules. ils sont grands, ils retrouveront le chemin de leurs maisons.
ils arrivent devant un petit bâtiment avec une grande porte noire jonchée de tags incompréhensibles. - voilà, on y est.

les deux compères nocturnes grimpent les escaliers qui mènent à l'appartement de Roméo, quatrième et dernier étage de sa tour de béton. la porte s'ouvre sur une grande pièce entourée par de hauts murs blancs et un vieux parquet qui grince. sur les murs, des photos, des posters, quelques tableaux d'artistes. un grand miroir tâché et des cendriers par dizaine. - désolé. ça fait un bout de temps que j'ai pas fait le ménage là dedans.
Roméo ouvre la large fenêtre et contemple l'obscurité. d'ici il peut voir la ville en émoi, la lune éveillée qui surveille les âmes brûlantes de la nuit. parfois le soir il se pose ici et puis il regarde le soleil se coucher lentement à l'horizon. cette vue, il pourrait la regarder des heures sans s'en lasser. il en oublie presque qu'il a un invité. - oui, j'ai un petit groupe de musique, on joue de la coldwave. je chante et je fais de la guitare. tu fais quoi toi ?
qu'il dit, en pointant le canapé du doigt pour que Jean s'asseye.

- hmmm. j'sais pas, les voisins se ramènent toujours et se mettent à gueuler dès que je branche les amplis. les vieux, tu sais...
énième haussement d'épaules. roméo a l'habitude de jouer devant une centaine de personnes mais dès qu'on lui demande un concert privé, il panique. c'est qu'il lui arrive de douter de lui et de se demander s'il est vraiment fait pour ça, en fait, est-ce qu'il est vraiment doué ou est-ce qu'on lui ment quand on lui dit qu'il a une belle voix??? y'a trop de questions dans sa tête, à roméo.
il va dans la cuisine et se ramène avec des canettes de bière fraîche, qu'il ouvre et qu'il tend à jean. il trinque avec lui avant de s'asseoir à ses côtés sur le canapé.
- ah, moi aussi j'ai abandonné l'école. ça m'ennuyait. je crois que c'est pas pour moi.
et il s'allume une nouvelle cigarette en imaginant sa vie si ça s'était passé autrement.

- bien sûr, attends, j'ai un truc pour toi. on joue la semaine pro au Ziggy.
il se lève et lui tend un flyer mal imprimé sur lequel sont inscrites les informations concernant la soirée. - bon, à la base c'est huit balles l'entrée, mais s'tu veux je te mettrais sur liste, comme ça tu entres gratos !
ses amis à Roméo lui ont toujours demandé pourquoi il avait pas continué les études de musique, qu'il aurait pu devenir un très grand musicien ou bien un professeur dans les universités de musicologie les plus réputées. mais lui ça l'intéressait pas de devoir rester assis sur une chaise toute la journée à écouter des gens lui raconter des choses qu'il ne retiendra jamais. alors, quand Jean lui dit qu'il a abandonné les études, oui, il comprend.
il reprend quelques gorgées de bière. - pas vraiment, je travaille en tant que fleuriste à côté, pour pouvoir me faire un peu de sous. (parce que faut l'avouer la musique ne le fait pas encore vivre). - et toi ? tu fais un truc ?